2006/09/22

Vendredi 22 septembre 2006 - Rencontres fortuites sinon magiques : clins d’œil de voyage

Sur la route, -hasard ou synchronicité?- les récits de voyageurs font souvent référence à des événements ou à des rencontres qui arrivent à point nommé, nous confirmant dans la certitude d’être au bon endroit au bon moment. « Né sous une bonne étoile », comme l’a dit maintes fois Marc durant ce voyage en Corse (d’ailleurs sa compagne Marie ne lui a-t-elle pas acheté une étoile?!).

Parmi ces moments que nous avons vécus, en voici un qui se raconte en deux temps.

Journal de bord du Capitaine Corsica
Extrait du jour quinzième de l’expédition


La journée s’annonce magnifique. Nous quittons Sartène pour nous diriger vers le site préhistorique de Cauria, où on trouve les alignements mégalithiques de I Santori et de Rinaïu, en plus du dolmen de Fontanaccia. Des recherches scientifiques y sont en cours présentement et on cherche à établir la façon de mettre le site en valeur. Pour y arriver il faut marcher longtemps sous un soleil de plomb, mais le trésor en vaut l’effort. L’énergie qui se dégage du site est palpable.

Nous quittons les lieux déshydratés et assoiffés, et une orange suffit à peine à nous désaltérer. Nous sommes partis sans provisions et l’heure fatale approche : à 14h, on risque de passer sous la table. Il faut en plus nous hâter car nous avons réservé une chambre sur Bonifacio, que nous devons confirmer par notre présence à 16h. À la sortie d’un hameau, le lieu dit Orasi, l’intuition pousse Lauréanne à nous faire revenir un peu sur nos pas, à l’auberge U Sirenu où elle l’espère nous pourrons nous restaurer.

L’endroit est magnifique, mais tout semble bien calme dix minutes avant 14h… L’hôtesse nous informe que les cuisines sont fermées, mais elle accepte de nous servir une bière et des cacahuètes. C’est déjà ça sous ce soleil torride. Puis après un bref échange, comprenant que nous étions des voyageurs et que nous nous étions attardés sur un site d’intérêt, Marcella nous propose de nous préparer une assiette de charcuteries corses. La rencontre de cette professeure de psychologie d’origine roumaine, qui vient ici arrondir ses fins de mois, aura été pour nous un très agréable moment.

Nous ne pouvons faire d’appel à partir de l’auberge, et il nous reste peu de temps pour trouver un téléphone. On nous dit qu’on en trouvera un à dix minutes, au prochain hameau, que nous n’aurons pas trouvé au bout d’une demi-heure. Il ne nous reste plus que 10 minutes, je passe à une intersection et je vois haut perché sur la gauche un village. Cette fois c’est mon intuition qui nous y amène. Disons que les doutes sont élevés à bord du véhicule, la majorité estimant qu’on perd du temps précieux à revenir en arrière (pendant que Marc somnole). Mais je persiste. On atteint au bout de dix minutes le petit village de Monacia-D’Aulène, nous cherchons et trouvons le seul téléphone public du village qui, croyez-le ou non, est hors de fonction.

Lauréanne se met alors en mode follow the guide, arpente les rues à pied et aboutit finalement à l’auberge Chez Alex, après avoir reçu une indication du… fils d’Alex à qui elle s’était adressée par hasard. Généralement, on nous refuse ce genre de services, mais Alex accepte qu’on se serve de son téléphone, non sans nous avoir gentiment invités à crécher chez lui. Il fait même l’appel pour nous. Alex reconnaît évidemment que nous sommes Québécois, et se met à nous raconter son histoire d’amitié avec René Lévesque et son épouse Corinne, tous deux maintenant décédés.





Avec son épouse, René Lévesque était descendu chez Alex incognito, alors qu’il était toujours Premier Ministre du Québec. « Il préparait sa prochaine élection », nous confie le sympathique aubergiste qui est aussi, sinon d’abord, berger. « J’ai montré à René Lévesque à tirer le lait des chèvres. Je le taquinais vous savez, car il tirait le lait par terre plutôt que dans le seau. Pas comme ça René, mais comme ça » poursuit Alex dans l’évocation de ces souvenir précieux. « Il couchait là, dans la chambre en haut », nous montre-t-il en visant l’extrémité sud de l’édifice. « Puis un jour je vois arriver une limousine avec des gardes du corps. Des gars grands comme ça », fait-il en levant un bras au-dessus de sa tête, croyant que des policiers venaient l’arrêter. « Je dis à René : Hé hé !, si ces gars là viennent pas pour toi, ils viennent pour moi. Mais René me dit : T’en fais pas Alex, ces gars là viennent pour moi. C’est là que j’ai appris à qui j’avais affaire… Les gars étaient venus directement du Canada, puis dans une limousine fournie par le conseil de la Corse du Sud, chercher le Premier Ministre, chez moi. Avant de me quitter, René m’a pris dans ses bras et m’a dit : Alex, ne change pas, reste toujours comme tu es ».

Voilà qu’une nuit, la sonnerie du téléphone réveille brusquement Alex. C’est Corinne qui lui apprend le décès de René, comme aux rares intimes. Le berger est profondément touché. « À cette époque je n’avais pas d’argent, sinon j’y serais allé aux obsèques, ajoute le berger de Monacia, c’était un grand homme René Lévesque ». Corinne retournera chez Alex au cours des années subséquentes, réservant toujours la chambre où elle avait logé avec René Lévesque. Le berger aubergiste croit sincèrement que les gens qui arrivent chez lui n’y viennent pas par hasard. Lauréanne et moi partageons son opinion.

Michel Roy

1 commentaire:

Marie Bérubé - Marc Vachon a dit...

Et le plus drôle, c'est qu'Alex accueillera aussi dans sa ferme auberge Pierre-Elliot Trudeau. «Ils n'avaient pas l'air de s'aimer beaucoup!», nous dira-t-il.